Quand on enferme un écrivain une nuit dans un musée …
« Ma nuit au musée » est une nouvelle collection initiée par Alina Gurdiel de la maison d’éditions Stock. Le principe est simple, un(e) écrivain(e) a carte blanche pour déambuler une nuit dans le musée de son choix et une totale liberté d’écriture à l’issue de cette expérience.
Léonor de Récondo succède ainsi à Kamel Daoud, Lydie Salvayre ou Christophe Ono-Dit-Biot et a choisi comme destination la ville de Tolède et son musée du Gréco, musée qu’elle avait découvert quinze ans plus tôt avec ses parents.
Chaleur et désir au programme
C’est donc fin juin 2019, sous une chaleur accablante qu’à 23 heures, elle pénètre dans le musée alors que les visiteurs l’ont déserté avec un carnet de croquis réalisés par son père … et son violon pour une nuit affolante de chaleur et de désir !
Léonor de Récondo déambule de nuit au gré de ses envies du jardin aux pièces d’exposition en passant par le patio ou la chapelle. Le calme de la nuit et l’obscurité sont propices à un rendez-vous amoureux auquel elle compte bien convoquer Doménikos Theotokópoulos, le «Grec de Tolède», et peu importe les quatre siècles qui les séparent.
Une mise en abime de l’incarnation
Ce livre est totalement hors des sentiers battus, complètement hors du temps, un hommage empreint de délicatesse.
Ce n’est certainement pas une biographie classique du peintre à l’histoire singulière. L’auteure brosse le portait de l’artiste et de l’homme, un homme amoureux, passionné et particulièrement humain. A la lecture de certains passages j’ai ressenti la même bousculade de sentiments que dans « Pietra Viva » quand Michelangelo débarque à Carrare et découvre les carrières de marbre, l’émotion affleure à chaque page.
Ce n’est pas non plus une autobiographie même si peut lire au travers d’anecdotes personnelles tout l’amour et la reconnaissance de l’auteure pour Félix, ce père disparu (Manifesto) … c’est tout simplement très beau ; Léonor de Récondo sait comme personne rendre vivants les absents, et provoquer l’émerveillement du lecteur avec sa plume si délicate.
Ce n’est pas forcément un livre facile, mais je vous invite à le lire en découvrant (ou redécouvrant) les peintures avant-gardistes d’El Gréco et en écoutant (et pour moi ce fut une découverte) une des « Leçons de ténèbres » … un livre aux intonations mystiques, hors des standards littéraires, hors du temps (oui, je me répète mais aujourd’hui encore, une semaine après avoir terminé ce livre, je ne trouve pas les mots qui colleraient parfaitement à ce livre que j’ai trouvé si solaire … comme Léonor) !
La leçon de ténèbres
Léonor de Récondo
Editions Stocks
149 pages
Extrait :
« Venir à Tolède, c’est voir l’obsession de près, c’est la consacrer
Venir à Tolède, c’est m’attabler avec mes morts, c’est boire un verre bien frais avec eux à la terrasse d’un bar et, dans notre ivresse, hurler aux étoiles que rien ne pourra nous séparer. Et on rira et on dansera, et je pleurerai en claquant le fond de mon verre vide sur la table.
Je pelurerai votre absence »