Tesson le long des routes de l’énergie
BTC pour Bakou – Tbilissi – Ceyhan. Le BTC ce sont quelques 1600 km de gazoducs pour acheminer le pétrole de la mer Caspienne à la mer Méditerranée, symbole d’un occident à l’appétit insatiable de cet or noir.
Sylvain Tesson a choisi de longer ces pipelines source d’énergie pour tous les excès du monde moderne à vélo ou à pied. Chevauchant sa vieille bicyclette, l’énergie qui lui permet d’avancer sur ces terres hostiles et arides (la température dépasse régulièrement les 40 degrés) est souvent mentale.
La géologie, les enjeux politiques et économiques, les choix stratégiques du tracé … chaque coup de pédale est prétexte à la réflexion. Sylvain Tesson traverse villes et et nous fait découvrir des paysages industriels post-soviétiques (« là où passent les Rouges reste la rouille ») suivant des kilomètres de pipeline, longeant voies ferrées, autoroutes ou parfois même un tracé théorique en pleine forêt quand l’oléoduc est enterré.
A vélo au pays des ex-soviets
De la mer d’Aral asséchée à la Méditerranée polluée par une consommation effrénée, ce voyage n’a pas été une balade facile, tant pour celui qui pédale que celui qui lit et il a parfois fallu que je m’accroche. J’avoue que les digressions sur la théorie psychophysique de Maxime Gorki ou l’univers des sphères de Peter Sloterdijk m’ont laissée perplexe mais c’était pour mieux apprécier les récits de rencontres avec les paysans turcs, les ouvriers de maintenance sur les plateformes de forages, les transporteurs routiers, les cadres des compagnies pétrolières ou le couple de voyageurs à vélo amoureux … autant d’éclairages sur ces pays et leurs coutumes. Il y a de l’humour et de l’ironie dans ces moments, d’autant que l’aventurier n’est pas de ceux qui pratiquent la langue de bois, quitte à fuir en courant.
J’ai lu ce livre en suivant du doigt le tracé sur une carte (les cartes dessinée par l’auteur sont d’ailleurs à la fin de livre) : Ouzbékistan, Mer d’Aral, Kazakhstan, mer Capsienne, Azerbaïdjan, Georgie, Anatolie, Kurdistan, Turquie … j’ai parfois eu du mal à localiser ces régions mais ce qui m’a impressionné, c’est la lucidité de ces réflexions. L’examen que fait Sylvain Tesson des rapports entre les énergies fossiles et l’humanité invite le lecteur à s’interroger sur l’emploi (et le gaspillage) de cette énergie moteur de notre quotidien.
Aventure, introspection, et le monde d’après ?
Ce livre est un mélange de récit de voyage, d’essai et d’analyse géopolitique. Déjà en 2006, Sylvain Tesson met en exergue les enjeux planétaires liés à l’environnement. Lire ce livre à la fin du confinement m’a plongé dans une forme de désespoir tant les choses se sont dégradées en à peine plus de dix ans et tant elles semblent si peu amènes à évoluer (petite parenthèse post-confinement sur les milliards que l’on va injecter dans l’économie mondiale afin de pousser davantage à la consommation sous prétexte de relance et au détriment de l’écologie).
Il s’en dégage une certaine amertume adoucie par le style imagé, poétique et érudit de l’auteur. Outre la carte pour suivre l’itinéraire de cette ligne BTC, il m’aura aussi souvent fallu l’emploi du dictionnaire en quête de définitions exactes mais cette richesse là m’a infiniment plue … vivement que je reparte sur les routes littéraires de cet aventurier un peu sauvage !!
Eloge de l’énergie vagabonde
Sylvain Tesson
Editions Pocket
256 pages
Extrait :
« J’irai de l’Aral à la Caspienne. Je gagnerai l’Azerbaïdjan à bord d’un ferry. De Bakou, je cheminerai vers la Turquie par la Géorgie. À pied, à vélo, je ne sais pas encore, mais loyalement, sans propulsion motorisée. Au bout de ma route, j’aurai relié trois mers, abattant le même trajet que celui d’une larme d’or noir de la haute Asie convoyée à travers steppes et monts pour que le monde poursuive sa marche folle. Profitant de cette traversée de terres à haute valeur pétrolifère, je consacrerai mon temps d’avancée solitaire à réfléchir au mystère de l’énergie. Pétrole et force vitale procèdent du même principe : l’être humain recèle un gisement d’énergie que des forages propices peuvent faire jaillir. »
Sylvain Tesson